Le futur du journalisme (avec des blagues)

Reading the news in France
Reading the news in France. Photograph by Maynard Owen Williams, National Geographic

Le monde est de plus en plus complexe, interconnecté. Ses mutations sont de plus en plus rapides. Pour le comprendre, je veux lire une presse de qualité. D’ailleurs je ne suis pas le seul, tout le monde jure qu’il veut la même chose, avant de retourner liker des vidéos de chaton sur facebook ou la dernière connerie d’une candidate de télé réalité. Afin d’éviter le bouillon maigre et tiède de la presse traditionnelle subventionnée, d’une part, et le vomi répugnant du buzz d’autre part, je me suis aperçu que j’avais de plus en plus tendance à payer pour lire des contenus de qualité : Arrêt sur images, Wired, The Economist, The Magazine… Si j’additionne les quelques pièces que me coûtent chaque abonnement à des contenus journalistiques et/ou convenablement édités, j’atteins aisément 200€ par an. J’ai la chance de pouvoir me le permettre.

Sans les avoir vraiment décidés a priori, plusieurs critères ont présidé à ma sélection de contenus. Tous ces abonnements sont : 1) numériques, 2) bien réalisés et adaptés au support, 3) peu chers tous les mois, 4) avec peu ou pas de publicité, et 5) dotés d’une voix singulière. Certains médias issus de publications traditionnelles et auxquels je suis abonné ont encore recours à la publicité. Néanmoins, je privilégie les médias sans pub qui ne vivent que des abonnements et de leur propre contenu (édition, événements, partenariats).

Le problème avec la presse quotidienne ou magazine traditionnelle, c’est qu’elle répond mal à ces critères. D’abord, elle n’est pas seulement numérique mais empêtrée dans les modes de production classiques du papier. Comme cette production immobilise énormément de capital, coûte très cher et perd de l’argent, le numérique est relégué au second rôle. Par manque d’investissement ou par volonté de contrôler toute la chaîne de valeur, qu’il faut maintenant partager avec Apple, Google et les autres, le résultat est souvent une application ou un site peu ergonomique.

La presse traditionnelle, à cause d’une structure de coûts héritée du papier, n’a pas les moyens d’investir ni la rentabilité suffisante pour prendre des risques. Les abonnements sont donc vendus très cher, souvent groupés dans un abonnement full option, dans l’espoir de capter un plus gros chiffre d’affaires. Comme elle dépend beaucoup de la publicité, elle se retrouve en ciseau car la publicité dans la presse papier est en train de disparaître et les revenus du numérique ne compensent pas cette baisse. Si l’information devient libre et gratuite, alors elle devient un objet de marketing.

Contrairement à la publicité qui fait du lecteur un consommateur passif, l’abonnement incite le lecteur à lire et à s’intéresser au modèle d’affaires, qui garantit la pérennité et l’indépendance du médium auquel il est abonné. Les contraintes financières et la chasse aux annonceurs obligent à faire des compromis sur la qualité et la singularité du ton. En se libérant de la pub, de nouvelles structures éditoriales indépendantes, financées par leurs lecteurs, peuvent émerger et prendre des risques.

Pour se libérer des contraintes de la presse classique, Paul Carr s’est lancé dans un projet éditorial ambitieux : NSFW Corp. Leur slogan est « le futur du journalisme (avec des blagues) ». C’est sans doute très prétentieux mais si vous connaissez la personnalité de Carr, vous ne serez pas surpris. NSFW Corp. est une start-up indépendante basée à Las Vegas, qui édite un site web d’articles et d’enquêtes, uniquement réservé à ses abonnés. Chaque abonné peut aussi « débloquer » et partager 10 articles par mois. Les abonnés ont également accès à la newsroom, sorte de liste de diffusion interne où la rédaction échange ses notes. La rédaction anime également un podcast d’une heure en direct tous les matins.

Le projet est intéressant par plusieurs aspects. D’abord, les auteurs ont été choisis pour leur plume et leur style. Je dois avouer que c’est un plaisir de relire la clique de The Exile. Ce sont des vétérans. Ensuite, ils sont très bien payés et ont les moyens d’enquêter. Les articles sur le site sont longs, parfois découpés en feuilleton. Le journal a également une opinion marquée à gauche (au sens américain du terme), un peu anar. J’aime assez. Dernière innovation : ils viennent de lancer une édition mensuelle sur papier. Ils ont de l’ambition, des moyens et la volonté de tout réinventer. Et de se marrer en le faisant.

Fuite de données personnelles, la SNCB reconnait son erreur

A la fin de l’année 2012, un internaute attentif avait trouvé par hasard sur un serveur web de SNCB Europe un fichier contenant les données personnelles de 1,5 millions de clients. Après enquête de la Commission de la protection de la vie privée, la SNCB vient d’envoyer un courrier à tous les internautes concernés. L’entreprise reconnait la faute et jure qu’on ne l’y reprendra plus, et ajoute :

« En ce qui concerne les éventuelles demandes d’indemnisation, la SNCB appliquera les obligations légales en vigueur. En ce cas, il appartient à une personne qui demande réparation […] de démontrer ce dommage, ainsi que la faute commise par la SNCB et le lien de causalité entre cette faute et le dommage subi. »

En ce qui concerne la faute, la preuve est déjà établie… grâce à ce courrier.

Cabotage scientifique par gros temps

Dans le débat sur l’ouverture du mariage civil aux personnes de même sexe qui a lieu en France, il faut reconnaitre que les catholiques conservateurs sont de valeureux adversaires. Minorité en voie d’extinction, ils sont à l’avant-garde de la bataille, servant commodément d’épouvantails, de supplétifs ou d’armée de réserve. Ils ont soulevé de nombreux arguments contre cette ouverture, certains de bonne foi. L’affaire était pourtant assez mal engagée. Il semblait difficile de rallier un nombre important de Français autour d’une défense ringarde du patriarcat. L’opposition a donc déployé beaucoup d’ingéniosité pour éviter de parler du fond du problème : l’égalité en droit des homosexuels.

L’une de ces ficelles les plus habiles, c’est la défense des enfants. L’évocation de bambins en danger est un moyen efficace pour recevoir de l’attention et se donner le beau rôle. Malheureusement, il ne suffit pas d’en appeler au secours de l’enfance, la larme à l’œil, pour gagner un argument. Il faut prouver que les enfants sont effectivement en danger. On quitte là le doux rivage du Droit pour les mers déchainées de la Science. C’est mon domaine.

Appareillez la barque et montez donc à bord avec moi dans l’article de Koz. N’ayez crainte, ce n’est pas très profond. L’auteur commence par une touchante évocation de son fils : « Il se contente de célébrer un état de fait. La situation dont il bénéficie, celle qu’il voit autour de lui. »

Le lecteur se félicitera de savoir que ce jeune enfant reconnait son papa et sa maman. Avec cet échantillon scientifique peu représentatif, disons que nos pieds font trempette sans même mouiller l’ourlet du pantalon. L’auteur, bien conscient de l’impact limité de cet argument, se fait fort de démontrer qu’avoir un père et une mère, c’est effectivement bon pour un enfant : « On nous demande de démontrer ce que l’on n’a jamais imaginé contestable, de justifier que ce serait réellement bon pour l’enfant, que cela lui serait nécessaire, qu’il bénéficierait de cette altérité, de cette complémentarité. »

Malheureusement, sur les flots impétueux de la Science, rien n’est incontestable et tout doit être démontré. Juché sur la hune, vous pouvez crier aux étoiles que la Terre est plate. Elles n’en ont cure. S’en suit donc un argument d’autorité : « La complémentarité du père et de la mère n’est ni une lubie, ni un lieu commun, ni une convention sociale, ni une habitude, et pas davantage une modalité d’éducation alternative. Non, c’est une réalité constatée et éprouvée. »

Le lecteur se demandera par qui et dans quel contexte cette réalité intangible pluri-millénaire a-t-elle été constatée. Probablement pas chez les Na du Yunnan. Heureusement, l’auteur a trouvé des vrais scientifiques avec des vraies publications pour appuyer sa thèse. Par exemple, des chercheurs indiquent que : « les interactions mère-enfant ne sont pas équivalentes aux interactions père-enfant. »

Cette assertion est appuyée sur une série d’études publiées, puis l’idée est développée par l’auteur. Nous sommes au milieu de la mare : le fait qu’un père joue avec son enfant aura une influence sur l’attachement de ce dernier. La qualité de cet attachement aura une influence sur la sociabilité de l’enfant puis de l’adulte. L’attachement d’un nourrisson est plus fort envers sa mère, qui le nourrit, que son père. On rame, on approche enfin. Il n’y a que trois nœuds de fond mais on navigue !

Koz nous régale avec de nombreuses études sur la dynamique binaire entre père et mère, leur complémentarité et son caractère épanouissant : « père et mère n’apportent pas les mêmes ressources à leur enfant, et de fait, représentent tous deux des figures d’attachement importantes. »

Serions-nous arrivés en pleine mer ? L’auteur a-t-il finalement démontré que les couples homosexuels sont dangereux pour les enfants ? Hélas non. La mare est bien trop petite. Si l’auteur a démontré que dans les couples hétérosexuels, les rôles du père et de la mère sont différenciés et complémentaires, il a fait la lourde erreur de tirer de ces observations une conclusion naturaliste voire finaliste : « cette complémentarité du père et de la mère correspond aux besoins de l’enfant. » Comme la gouttière correspond à la pluie ou le chat à la souris ?

Se pourrait-il que d’autres constructions sociales permettent d’élever des enfants épanouis ? A-t-on comparé l’efficacité de ces constructions alternatives dans les couples homosexuels qui élèvent des enfants ? Comment se construit la dynamique affective dans ce cas là ? Koz n’en dit rien, il a abandonné le navire : « il s’agit là de l’observation d’une réalité, pas de quelque idéologie avide de faire correspondre la société à une hypothèse préétablie, de remodeler l’homme et la femme selon quelques théories du genre. »

Patatras, nous retournons sur le rivage, à peine mouillés mais un peu nauséeux.

L'affaire SNCB prend de l'ampleur

Un fichier contenant des données à caractère personnel appartenant à près de 1,5 millions de clients de la SNCB a été divulgué sur le web par la SNCB durant un mois à l’insu de tous. En pleine période de fêtes, à l’heure où les journalistes digéraient le chapon loin de leurs rédactions, l’affaire a commencé mollement. C’est en train de changer. Voici une petite revue des liens les plus intéressants au sujet de l’affaire :

Pour porter plainte, je vous conseille d’envoyer directement un mail à la Commission Vie Privée. Vous pouvez joindre au message une copie de votre carte d’identité.

Vous pouvez aussi porter réclamation auprès de la SNCB en envoyant un mail à l’adresse internet-int@b-rail.be.

Incompétence et légèreté à la SNCB

Il y a quelques jours, un internaute est tombé par hasard, avec une simple recherche Google, sur un fichier de clients de la SNCB. Ce fichier contenait pas moins de 1 460 740 lignes, avec pour chacune les nom, prénom, email, adresse postale et numéros de téléphone. C’est un fiasco total puisque d’après la loi, ce type de données à caractère personnel ne peuvent être divulguées. La SNCB vient donc d’enfreindre plus d’un million de fois la loi en un clic.

Pour une discussion détaillée, je vous conseille le billet de Patrick Vande Walle sur les détails techniques et sur les mensonges de la communication de la SNCB. Je dis bien mensonge puisque l’entreprise prétend que l’internaute ayant découvert le fichier aurait usé d’un « stratagème », ce dont on ne peut sérieusement qualifier Google.

Il est tout à fait possible que la SNCB ait eu besoin de ce fichier pour des raisons internes comme préparer un emailing promotionnel, par exemple. En revanche, que ce fichier se retrouve pendant un mois sur un serveur web publiquement accessible est tout bonnement incompréhensible. Cela dénote de la part de la SNCB – au choix – de la légèreté ou de l’incompétence dans la gestion des données personnelles de leurs clients qu’elle a pourtant l’obligation légale de protéger.

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Capture via @alct

Mon hésitation entre les deux explications n’a malheureusement pas diminué lorsque, tout récemment, Hugo Poliart (conseiller communication en ligne de SNCB Holding) n’a pas trouvé mieux que d’ironiser sur cette affaire, dont la gestion par la filiale de son employeur n’est pas l’aspect le moins scandaleux. Dans un billet sur son blog personnel, supprimé depuis mais dont vous avez une capture dans cet article, il se moque de ces gens qui partagent leur vie sur les réseaux sociaux et s’inquiètent soudain de voir circuler leur adresse email.

L’ironie ne m’a pas complètement échappé moi non plus et j’aurais pu trouver son billet amusant si par ailleurs, en plus d’une fondamentale différence entre un partage volontaire et une fuite, le comportement de la SNCB n’avait pas été aussi déplorable. J’attends toujours un email d’excuse de la SNCB et l’assurance que des mesures seront prises. Faire preuve d’humilité me semble dans ce genre d’affaires l’attitude la plus efficace. Je signale que contacter les utilisateurs est aussi une obligation légale. Dans l’attente d’un mail, j’encourage tout le monde à contacter la Commission Protection Vie Privée.

Tant dans sa gestion technique des données que dans sa communication de crise, j’ai bien peur que la SNCB doive faire preuve d’un peu moins de légèreté et d’un peu plus de compétence.

Post scriptum. Hugo Poliart a souhaité que j’apporte la précision suivante : il n’est pas directement employé par SNCB mais SNCB Holding, la holding de contrôle de l’ancien monopole public. À propos de SNCB Holding, sachez que sa « mission consiste à fournir un certain nombre de services à ses deux filiales » SNCB et Infrabel. SNCB Holding gère le personnel et le patrimoine des deux sociétés.

La liberté n'est pas plurielle

Cette semaine, je suis tombé sur une affiche qui faisait la promotion du Festival des libertés. Si comme moi vous êtes curieux, vous vous demandez ce que c’est. D’après le site, il s’agit d’un événement « politique et artistique, métissé et créatif, festif et subversif » qui « mobilise toutes les formes d’expression pour se faire le témoin de la situation dans le monde, alerter des dangers qui guettent, rassembler dans la détente, inciter à la résistance et promouvoir la solidarité ». Je vous épargne le passage sur les « utopies ».

Ce manifeste des mutins de Panurge, qu’aurait pu ironiquement rédiger Philippe Muray si le brave homme était toujours vivant, n’est malheureusement rien d’autre que la bouillie mentale produite par notre époque. Une époque qui ressemble à un accident de train passé au ralenti, qui plongerait dans la mélasse. Ce n’est pas la vigilance citoyenne et la vertueuse solidarité subsidiée par nos impôts qui m’a dérangé. J’ai depuis longtemps l’habitude de la tartufferie d’une époque indignée mais qui vit à crédit. Non, c’est un point de sémantique très précis qui m’a immédiatement frappé : le pluriel du mot liberté.

Ceux qui écrivent « les libertés » pensent-ils donc qu’on peut les dénombrer comme on mesure un champ ? Croient-ils que la liberté se mesure à la longueur des barrières ? Existe-t-il une liste des libertés autorisées ? Doit-on rendre grâce à la mansuétude de nos maîtres de nous avoir donné de si longues chaînes ? Dans un festival, peut-être ? Ce pluriel suggère la finitude et le caractère dénombrable des libertés admises et dûment enregistrées. Ce pluriel représente le rabotement permanent que l’époque fait à la liberté. Je ne vois là rien à fêter.

Quand le pluriel veut dire moins que le singulier…

Comment je suis devenu un expert

Je n’avais pas vraiment prévu de passer à la télé. Denis avait refilé mon numéro de téléphone au journaliste (salut Éric). Pour le lancement de leur application mobile, il voulait parler de stratégie des groupes media belges. Je ne suis aucunement spécialiste de tout ça mais j’observe, je butine avec curiosité. Pourquoi ne pas en discuter ? C’est un peu de cette manière, par hasard, que je suis devenu expert à la télé.

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Le marché mobile semble faire rêver les groupes media traditionnels. Alors pour compléter ce court entretien, voici quelques réflexions personnelles sur ce nouveau marché.

Tout d’abord, un constat : le mobile est devenu une part significative du trafic web et cette tendance va s’accentuer. Les appareils sont de plus en plus performants et capables. Les consommateurs de smartphone sont de bons clients prêts à payer. Les nouvelles fonctions des smartphones ouvrent des opportunités (géolocalisation, near-field communication, connexion permanente, appareil photo et vidéo, etc.) et suscitent de nouvelles habitudes.

Malheureusement, il y a aussi des risques. L’accès aux consommateurs passe par un gatekeeper qui limite la fixation du prix, les contenus et les possibilités d’interaction. Le marché est fragmenté entre trois ou quatre plateformes. Il y a des limitations légales et réglementaires (par exemple le copyright par pays ou région). Enfin une application mobile, comme tout développement d’application, comporte des risques et des coûts non négligeables.

Aujourd’hui, il semble donc que les media belges soient encore frileux. Il existe bien quelques initiatives coordonnées (je pense à Immovlan par exemple) mais une stratégie qui englobe le mobile parmi tous les autres outils marketing semble faire souvent défaut [ce n’est que mon avis].

Il y a pourtant des pistes intéressantes à explorer. Tout d’abord, les media doivent réfléchir à la répartition entre contenu payant et gratuit. Ces deux types de contenu nécessitent des stratégies différentiées. Je ne suis pas certain qu’une application mobile soit nécessaire à un grand quotidien, par exemple. Ensuite, il y un gisement d’innovation à trouver dans la convergence entre IT et production de contenu (à la OWNI). Troisièmement, je pense que l’ère du mass media généraliste est dernière nous. Ce type de contenu perd de la valeur au profit de l’information spécialisée, de l’information de proximité et des analyses pointues. Enfin, ce qui est gratuit n’est pas forcément sans valeur. En effet, il ne faut pas oublier les effets de réseau. C’est tout le champ des media sociaux qu’il convient d’intégrer dans une stratégie, qu’elle soit mobile ou pas.

Je vais appliquer ces conseils à moi-même et m’arrêter là. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez me contacter. Maintenant que je suis expert à la télé, je fais payer. Je suis hors de prix.