Le jour où j'ai rencontré Clara Morgane

Nous étions, deux amis et moi, dans l’endroit le plus désolé de France, quelque part dans le grand Est. Quand on vous dit « Est de la France », vous imaginez sans doute l’Alsace proprette et les bords du Rhin. Peut-être imaginez vous la Champagne, ses champs fertiles et ses prestigieuses maisons de vin à bulles. Mais vous feriez erreur, nous étions dans une région rurale, sans ville importante ni autoroute. Les habitants avaient pourtant trouvé le moyen de fuir et ne restaient là que les trop vieux ou les trop jeunes, avec pour seule occupation l’alcool ou les grossesses précoces. Nous étions donc coincés entre l’Alsace et la Champagne, comme en une métaphorique raie des fesses, pour ne pas dire un trou, dans une région qui résista longtemps aux empereurs et aux rois, pour la simple raison qu’ils n’avaient rien à y faire.

Heureusement, la distraction principale (et unique) de cette ancienne ville thermale nous attendait : la discothèque. Je vous vois sourire. Remplie exclusivement de soldats désœuvrés et d’adolescents en échec scolaire, l’établissement était suffisamment petit pour paraître animé. Nous nous y engouffrâmes donc dans le seul but de consommer une grande quantité de boissons alcooliques à des prix modérés. Pour oublier où la fortune nous avait laissés (cette salope), nous nous abreuvâmes de liquides maltés et de breuvages slaves.

Et c’est là qu’elle apparut. Dans une assourdissante musique techno qui était de sa composition (d’après les méchantes langues), elle se lança dans un spectacle chorégraphique, au milieu de la piste de danse. Accorte, voire libertine, elle commença à enlever ses vêtements, pour le plus grand plaisir des mâles de l’établissement (moins un). Son tour de chant était aussi rodé que son tour de poitrine et nous ne loupâmes bientôt rien de son anatomie ; sans surprise, car tout le monde l’avait déjà vue en gros plan.

Elle invita sur scène un bidasse en t-shirt et commença une de ces danses lascives auxquelles des années d’art gynéco-dramatique l’avaient habituée. Clara, c’est son nom d’artiste, déshabilla lentement le jeune homme, et pas qu’avec ses mains. J’ai pris des notes mais je ne préciserai pas la manière, car on dit qu’une magicienne ne dévoile jamais ses tours. Le jeune homme se retrouva dans le plus simple appareil, visiblement pour son plus grand plaisir et celui d’au moins un mâle dans l’assistance. Elle disparut à la fin de son récital. Il n’y eut point de rappel.

Nous restâmes longtemps à nous étonner du formidable spectacle. Je ne sais si nous avions trop bu ou pas assez, mais la magie s’estompa bien vite. Nous quittâmes la discothèque, la ville, la région enfin, résolus de n’y plus jamais foutre les pieds. Pour ma part, je pris même des années plus tard la décision de quitter le pays. Mais je peux affirmer sans rougir qu’un jour ou plutôt une nuit ((près d’un lac où j’étais endormi)), j’ai rencontré Clara Morgane.

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